Le confinement tue

Sans entrer dans un débat sur le bien-fondé des mesures actuelles et en intégrant même l’idée que cette décision vise à sauver la vie de milliers de personnes, on peut néanmoins s’interroger sur les dégâts collatéraux du confinement de milliards d’individus durant plusieurs semaines.

On ne vous oublie pas

Le confinement tue (Collages féminicides Paris)

Chacun·e va « vivre » (ou subir !) ces moments de réclusion, « d’assignation à résidence », de manière différente selon ses habitudes de vie, ses conditions matérielles, son environnement, la situation dans laquelle il ou elle se trouve au moment du confinement (par exemple, éloigné·e de ses proches), son état de santé mentale ou physique, etc.

Ce qu’on appelle les inégalités sociales, de santé, de logement, de revenus (8 millions de français en insécurité alimentaire), etc. ne vont pas donner la même « ambiance » au confinement de chacun·e et, dans de nombreuses situations, elles vont même être amplifiées par la réclusion et l’isolement ou la promiscuité éventuellement associés. Les nouvelles conditions créées par le confinement vont provoquer des dégâts (dont on ne pourra jamais vraiment mesurer l’ampleur) chez les plus précaires et les plus fragiles, grands oubliés des politiques publiques qui s’adressent généralement aux populations des classes moyennes et supérieures et aux « valides ». En d’autres termes, nous ne sommes (évidemment !) pas égaux devant le confinement, qui fait « flamber » les inégalités déjà existantes, mais porte également de nouvelles atteintes aux droits et même tue, aussi sûrement que le virus.

On n’a pas attendu les déclarations de Macron pour inventer la solidarité et beaucoup de professionnel·les, de bénévoles essaient de maintenir leurs activités, mais dans ces temps difficiles il est sans doute nécessaire d’être encore plus vigilants aux plus démunis et aux plus fragiles.

Pour les personnes déjà isolées (l’isolement sous ses nombreuses formes) ou « sous les ponts » (cf. Robert Castel et la désaffiliation), le confinement des autres dégrade leurs conditions de vie en réduisant les contacts et les échanges ; pour celles et ceux qui sont déjà en situation « d’enfermement institutionnel » (cf. entre autres les travaux d’Erving Goffman et de Michel Foucault), c’est la « double peine » ; pour d’autres, enfin, le foyer n’est pas forcément l’endroit du réconfort.

  • Dans la rue : les estimations sont de l’ordre de 200 000 « SDF » sans toit au-dessus de la tête (cela exclu les personnes ayant accès à un mobile-home, une caravane, etc.). La plus grande partie de ces personnes vivent d’expédients, de débrouille, mais aussi des « restes » et « invendus » de la société  de consommation ainsi que de l’entraide et du soutien des associations. Quels moyens de subsistance trouver quand les sources de revenus disparaissent ? Comment assurer son hygiène quand les lieux habituels ne sont plus accessibles ? Comment trouver à manger quand bars et restaurants sont fermés ? Comment maintenir le lien quand les bénévoles viennent à manquer ?
  • Dans les bidonvilles et squats : des centaines de milliers de personnes en France métropolitaine et en outre-mer (roms, réfugiés, migrants, clandestins, squatteurs, etc.) vivent également d’expédients dans des habitats précaires, la plupart du temps sans eaux, ni électricité, où la promiscuité et les conditions d’hygiène font déjà des ravages en temps « normal ». Le manque de nourriture se fait maintenant sentir.
  • Dans les prisons : propagation dramatique du virus et impossibilité d’isoler les personnes atteintes de la maladie dans des prisons déjà surpeuplées ce qui entraîne une insécurité grandissante et une tension insupportable ; suppression des parloirs, des activités (ateliers, école, loisirs…), promenades aléatoires, augmentation des temps de promiscuité, dégradation de la santé mentale, sevrage forcé, etc. La sortie elle-même est moins préparée, moins accompagnée, moins sécurisée (en temps « normal » on constate déjà une multiplication des cas de suicide lors de la libération des détenu·es)…
  • Dans les institutions sanitaires, sociales et médico-sociales (personnes âgées, personnes handicapées, enfants placés, etc.) : les visites sont suspendues, les liens avec « l’extérieur » se réduisent, l’isolement gagne, la maladie se propage… Entre le confinement dans leur chambre des résidents atteints ou suspectés d’être atteints de la maladie, la diminution du nombre de professionnels, les pratiques de rétention et même de contention ne peuvent qu’augmenter. Isolement des enfants de l’ASE testés positifs.
  • Pour les personnes âgées isolées : diminution des suivis par les professionnels et les bénévoles, isolement accru, risque accidentel augmenté, etc.
  • Pour les personnes handicapées à domicile : certaines personnes de retour d’institution se retrouvent en grande difficulté dans un environnement inadapté ; dans certains cas les familles refusent les visites à domicile et les soins par peur de la contagion.
  • Les suivis psychiatriques ou médico-psychologiques : question de l’isolement, de l’approvisionnement et du suivi médicamenteux, des séances thérapeutiques, de la gestion des crises…
  • Les violences conjugales ou intra-familiales : peut-on imaginer que le confinement et la promiscuité améliorent la situation de milliers de « femmes battues » ou d' »enfants maltraités » , supprimant par exemple les visites à domicile ?
  • Les toxicomanies : l’approvisionnement devient plus difficile voire impossible, beaucoup plus cher, les consommateurs sont davantage isolés, en insécurité, la rechute menace ceux qui n’ont plus leur traitement de substitution
  • Sans parler des effets de l’isolement et du stress sur les personnes qui vivent très mal la situation extrêmement anxiogène d’une menace invisible et potentiellement mortelle…

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